Plan B

Urbuz.com Chester Himes a séjourné en France où ses premiers romans policiers ont connu le succès. Plébiscité par Giono et par Cocteau, il a été le premier étranger à recevoir le Grand prix de la littérature policière en 1958 pour La Reine des pommes. D'ailleurs, de ce célèbre écrivain noir américain, nombreux sont ceux qui ne connaissent que ce mythique roman. Pourtant, il serait dommage de s'arrêter là, tant ses autres écrits réservent des surprises et des coups de cœur. Ces deux rééditions en sont d'ailleurs la preuve. Elles occupent une place à part dans la bibliographie de Himes. Connu pour son style cassant et plein d'humour ainsi que pour ses personnages, les deux policiers noirs (Fossoyeur et Ed cercueil), qui résolvent les énigmes d'une manière quelque peu illégale, Himes rompt ici avec nombre de ses habitudes. Une occasion d'entrer dans les noirceurs de son univers.

D'abord, dans Une affaire de viol, le couple infernal Fossoyeur / Ed Cercueil, est absent. Et ce n'est pas tout... Comme le fait justement remarquer Michel Fabre, on ne retrouve pas non plus le "Harlem rabelaisien" si cher à Himes. L'écrivain semble avoir voulu se libérer de l'aspect formel du roman noir, en opérant un démantèlement scientifique de l'intrigue. Les titres de chapitre - le procès, l'enquête, l'hypothèse etc. - portent d'ailleurs le sceau de cette soi-disant objectivité. Cette froideur volontaire n'enlève cependant rien à la force du récit. Elle le rend au contraire, encore plus fracassant et dérangeant. Ainsi, épuré de tous les détails superflus, ce roman met à nu l'impossible rapport entre blancs et noirs. Cette relation amour/haine entre noirs et blancs atteint son paroxysme dans Plan B : Chester Himes avoue lui-même s'être lancé dans le roman le plus fou et le plus audacieux de sa série de Harlem. Ainsi, Plan B peut se lire comme l'aboutissement dérangeant de l'œuvre de Himes. Les rapports raciaux y deviennent apocalyptiques. La violence sans retenue explose ici dans un cataclysme dévastateur jusqu'à emporter les personnages de Fossoyeur et d'Ed Cercueil. Michel Fabre parle à ce propos de "suicide littéraire". Chester Himes lui-même, y atteint ses propres limites. Le livre abandonné avant d'être terminé, ne paraîtra qu'après sa mort, avec en guise de fin le synopsis initialement rédigé par l'écrivain.

André Dimanche a paré ces mots crus et sanglants de couvertures simples et originales. Les toiles de Pierre Dmitrienko (Le martyr et El fuerte), constituent une belle entrée en matière aux textes. C'est une collection à ranger soigneusement dans une bibliothèque ; ce qui tombe bien car ce sont des livres qu'il faut avoir sous la main tant peut être subite l'envie de les relire. Que ceux qui se demandent quel intérêt peut amener à lire des récits tellement teintés d'une époque de conflits sanglants entre noirs et blancs (les années soixante), regardent l'actualité. L'écriture analytique, les sonorités étranges et barbares placent ces oeuvres dans la sphère de l'éternelle incompréhension des relations humaines. La force du propos de Himes atteint l'universalisme… le secret d'une immortalité littéraire bien méritée. --Justine D.-- --Ce texte fait r?rence ?'?tion Broch?