La maison inachevée

Les bonnes manières plaisent toujours, et on ne peut rencontrer d'hôte mieux élevé. À la porte, il salue les visiteurs, les introduit puis se retire, les laissant libres de tout examiner et critiquer seuls ; il n'est pas importun, il ne se fait le cicérone de ses trésors, jamais on ne le prendra en flagrant délit d'amour propre. Il cache son savoir au lieu de le montrer, il semble à l'écouter que chacun aurait pu faire son livre.
Hippolyte Taine, parlant de Prosper Mérimée.

Comment mieux montrer que Mérimée, comment dire mieux que Taine ce que se doit à mes yeux d'être le « maître » de maison, qui, en vérité, est bien plutôt à son service ?

Je suis né à Saint-Rémy-de-Provence, et j'entends bien avoir le privilège, rare de nos jours, d'y mourir - comme il en fut à Maillane, à quelques kilomètres d'ici, pour Frédéric Mistral, de cousins duquel je tiens Altavès, cette maison inachevée.

Entre-temps, durant quelques décennies, les maisons auront été l'objet central de ma vie. Celles dont mon métier m'a ouvert les portes, de très belles maisons pour la plupart, ici ou là - ici, en Provence, en particulier. Celles, de toute sorte, où j'ai résidé à l'occasion, demeures d'amis toujours, maisons réellement « habitées » et vécues, qui m'ont parlé d'elles et m'ont parlé d'eux. Celle, enfin, où je vis depuis plus de trente ans, sorte de précipité alchimique de tout ce que j'ai aimé de ces maisons qu'il m'a été donné de voir.

Comment habite-t-on une maison ? Comment est-on habité par une maison ?

Voilà ce qui depuis toujours m'a donné matière à songer...
Emile Garcin