Ce que je crois. Vol. 1. Les années d'espoir, 1960-1979

«[...] Lorsque, pendant vingt ans et même trente avec la période que couvrira le second tome de ce livre, on a commenté à chaud et régulièrement les événements, la première question qu'on se pose à soi-même - et qui se pose - est : me suis-je beaucoup trompé ? La seconde : qu'est-il advenu qui m'a surpris parce que je ne m'y attendais pas ? Ai-je été dans l'ensemble cohérent, ou bien me suis-je souvent contredit ?

Les intellectuels qui se sont beaucoup trompés au cours de ce siècle et qui ont dû se renier sont ceux qui ont adhéré à des idéologies fortes et fausses comme le fascisme/nazisme ou le communisme/stalinisme. Ils ne voulaient pas voir pour savoir, ni analyser pour comprendre. Ils voulaient «croire» et ont accepté les yeux ouverts d'être trompés.

J'ai eu la chance pour ma part, tout au moins me semble-t-il, de naître de parents musulmans mais non fanatiques, pratiquement dépourvus d'instruction et qui, de ce fait, tenaient à ce que leurs enfants fissent des études. Ils en avaient heureusement (tout juste) les moyens. Mon pays était, de nom, un protectorat français, en fait une colonie de peuplement. J'ai donc connu, tout jeune, l'oppression, l'injustice et l'humiliation ; j'ai même vécu quelque chose qui ressemblait à l'apartheid. Cela vous ouvre les yeux et vous apprend - dans le meilleur des cas - à voir et comprendre ce qui se passe autour de vous, cela vous vaccine. Mais ma plus grande chance, je crois, fut d'avoir été élevé dans le respect de l'autre.

Sur ce socle, si pour vous l'Humanité est à la fois diverse, à des stades d'évolution différents, mais une, si vous n'avez aucun intérêt particulier surévalué ou sous-estimé à défendre, ni aucune chapelle à protéger, si vous vous employez, votre vie durant, à préserver votre indépendance matérielle et d'esprit, si vous bannissez la peur, si vous luttez en permanence contre les préjugés ou la mode intellectuelle, qui en est une variante, si vous allez jusqu'à reconnaître vos torts et vos erreurs ainsi que ceux des vôtres, vous vous mettez dans une situation où vous ne vous trompez que si l'un des facteurs d'une situation vous a échappé ou bien si vous l'avez sur ou sous-estimé [...]»

(Extrait de l'avant-propos de l'auteur.)